L'obsession du téléphone...

Publié le par Huguette DREIKAUS

Toute vie est banale, même si des épisodes très colorés par un amour naissant, un triomphe sportif, la jubilation d'une guérison ou un gain au grattage emplissent nos parties internes de ces sucs que seul le bonheur ou l'ingestion exagérée de mets sucrés ou saucés peuvent faire couler.

En dehors de ces chabadabadas de l'âme, notre quotidien se résume à des gestes répétitifs perpétrés avec des accessoires aussi terre-à-terre que la lavette, l'aspirateur, la machine à café, le caddie et la clé de contact de la voiture.

Cette voiture qui vous coûte plus cher de jour en jour au vue des prix galopants pratiqués sur les carburants. Faire le plein, dans ces circonstances, devient un acte sérieux à effectuer après mûre réflexion et après une étude de marché approfondie. D'aucuns mêleront le passage à la pompe à une randonnée autour du Mummelsee ou la visite d'une Burg en terre viticole allemande, d'autres profiteront des « points comptant triple » et se rendront à la pompe d'un hypermarché. D'autres encore, comme moi, préféreront toujours la station-service. J'aime le passage dans ces Algécos en dur, ces supérettes des noctambules, ces lieux sans doute achalandés par un adepte de Prévert où se côtoient dégivrants, bouteille de sodas, essuie-glaces, sandwichs sous vide et journaux gratuits. J'aime trouver cette présence humaine permanente 24 h/24, cette oreille pour vos premiers soucis du matin et vos derniers soucis du soir.
Tiens, j'ai dit « J'aime bien trouver cette oreille pour mes soucis » comme si ce personnage enfoncé dans un uniforme aux couleurs de son enseigne, n'avait qu'une oreille. Dois-je vous en informer ? C'est une réalité ! Ils sont là ! Ils ont débarqué en masse dans bien des lieux de services, ces êtres étranges qui ne vous prêtent plus qu'une oreille. L'autre est collée au téléphone fixe du patron pour une conversation avec un interlocuteur inconnu avec des phrases aussi intéressantes que « Si je te dis que je ne rentre pus dans mon jeans ! C'est dingue et je dois aller en boîte demain soir » ou « écoute Gilles, je te le dis pour la dernière fois. Si je rentre et que les bouteilles d'eau, tu ne les as pas sorties de la voiture et montées à l'appartement, tu vas voir ce que tu vas voir ».

Et encore, dans les deux cas que je vous ai cités, vous êtes un peu dans une histoire qui peut titiller vos zygomatiques ou déclencher votre empathie, bref vous avez eu une petite part de la vie de l'autre.
Mais si, pendant 5 minutes, vous n'entendez que des « Bien sûr ! Bien sûr ! Bien sûr ! », vous avez toutes les raisons de disjoncter.
Ils sont là. Ces êtres bizarres au combiné du téléphone coincé dans le cou, ces créatures à la tête penchée qui susurrent, crient ou rient à gorge déployée avec un partenaire coincé dans le combiné. Ces « envahisseurs » nés des forfaits illimités sévissent dans tous ces lieux où on est en mesure d'attendre une rencontre avec un humain qui vous parle, qui vous regarde dans les yeux. Des lieux comme l'accueil dans une entreprise, au comptoir d'un commerce, à la réception d'un hôtel, au guichet d'une administration. Dans ces lieux voués à la rencontre de personne à personne, vous tombez presque inexorablement sur un individu à tête penchée, absorbé par son coup de fil, qui ne pourra vous adresser que quelques signes improbables pour vous guider ou vous tendre une clé, des timbres ou un fascicule susceptible de répondre à vos questions.
La personne en uniforme de compagnie pétrolière de la station-service m'a juste montré, d'un doigt impatient, la fente de cet appareil où se font les débits sur une carte bleue en persévérant dans ses « Bien sûr ! Bien sûr ! Bien sûr ! »
A la pompe, il y a parfois des coups de pompes qui se perdent. Bien sûr ! Bien sûr...

L'obsession du téléphone...
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