Indiana Jones et les instants perdus

Publié le par Huguette DREIKAUS

Il y a des jours où toute minute est vécue intensément. Depuis 47 jours de calme et de solitude, chacune de mes minutes est vécue intensément. Comme dans les livres de James Joyce ou comme dans L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty de Peter Handke. Zersplitterung der Zeit. Faire de son temps des millions d'événements. Vivre mille vies en un jour, avoir une réelle conscience de ce qui se passe.

Prenons jeudi. Jeudi, il avait plu. Une pluie que d'aucuns attendaient avec fièvre. La pluie est tombée comme un voeu qui aurait été exaucé par le ciel et j'ai retrouvé une forme de foi, la foi en un avenir meilleur. Sur la route devant ma maison, il y avait un défilé ininterrompu de machines agricoles tirées par des camions ou des tracteurs avec des remorques. J'ai alors pensé à mes grands-parents de Dauendorf, à la simplicité de cette vie sans argent où tout se troquait, la farine contre du pain, la farine et les oeufs pour le biscuit du dimanche, les oeufs et le beurre contre le sac d'école.

J'étais allée au marché avec mamema, assise sur un banc de ce grand hall, avec deux grands paniers d'oeufs et un panier avec des pains de beurre oblongs qu'elle avait décorés sur le haut puis emballés dans du « Pergament papier ». Avec le fruit de sa vente, elle m'a acheté un cartable avec une bonne odeur, une odeur que j'avais dans le nez jeudi.

Dans l'après-midi de ce jeudi, je suis montée au grenier, ce lieu qu'on avait aménagé (comme tout le monde) pour permettre aux enfants de jouer sur un territoire où n'existait aucune règle.

Il y a là une armoire « oubliette » pour ranger des objets futiles, des cadeaux d'anniversaire trop beaux pour les donner à la tombola de l'école, trop inutiles pour avoir leur place sur une étagère de la cuisine ou du salon. Devant ces pyramides de cartons, je me sentais comme Indiana Jones, mue par le désir de trouver une sorte d'arche perdue. Mieux, je me sentais comme dans mon enfance, quand je devais choisir un chewing-gum à la boulangerie et que je rêvais qu'il soit vert. Retirer un chewing-gum vert du bocal, c'était gagner ! Cela donnait un sentiment de chance aussi fort que de gagner à The Voice ou avoir le billet pour une Lune de miel dans cette émission qui réunit des mariées ménopausées et des harpies fielleuses.

Jeudi, j'ai trouvé une marquise râpeuse. Une Dame avec un chignon compliqué et un buste de mannequin mais dont la robe avec une crinoline imposante était composée de râpes, râpes fines, râpes épaisses, râpes à couteau horizontal.

Vendredi 1er-Mai, j'ai descendu la marquise dans ma cuisine. Elle est maintenant à mon service. Elle me fait les carottes râpées et les pommes de terre râpées pour mes grumbeere-kiechle. Une forme de lutte des classes idoine pour le 1er-Mai.

Aujourd'hui, j'ai dans ma tête un film dont je fais le scénario au fur et à mesure, un film dans l'esprit de The Crown. Je m'imagine la vie des marquises... Épouser un marquis ? Pour moi, c'est râpé !

 

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